Souvenirs du Chinon Engineer Depot ...

A la fin de la deuxième guerre mondiale débute la "guerre froide", période de tension entre l'Est et l'Ouest, qui amène les forces de l'OTAN à se doter des moyens matériels nécessaires pour résister à une éventuelle agression de l'URSS. C'est dans ce contexte que de nombreuses bases furent créées en France, dont le Depot Activity de Chinon.
Les américains séjourneront ç St Benoit de 1951 à 1967 et de nombreux bénédictins ou habitants des communes voisines trouvèrent un emploi auprès de l'US Army. Ils furent environ 1000 civils français à travailler aux côtés des 1500 militaires dans de multiples spécialités administratives ou techniques.

Liliane Marolleau est l'une de ces femmes et hommes ayant participé à cette aventure. Secrétaire au Headquarters (QG) du Chinon Engineer Depot, elle a travaillé durant 7 ans au camp, de 1960 jusqu'au jour du départ des forces US en 1967. Elle garde un souvenir impérissable de cette période de sa vie et conserve encore précieusement de nombreux documents et photos d'époque
Liliane aime à se souvenir comment elle vivait aux côtés des militaires US, dans un luxe et une modernité qu'elle n'avait jusqu'alors pas imaginés. Elle parle de bâtiments neufs, d'un confort exceptionnel et dotés de toutes les commodités, ainsi que de bureaux spacieux équipés machines à écrire ultra-modernes et de lampes à néons (inconnues auparavant en France). Ayant quelques notions d'anglais, elle suivit des cours de sténo anglaise et obtint un poste de secrétaire, ce qui l'amena à être l'interface entre l'armée américaine et l'administration française. Elle se souvient alors de son salaire, qui pour l'époque était très enviable (elle débute à 270 francs pour terminer à 1000 francs par mois, 7 ans plus tard) et de ses fiches de notation dignes de nos processus qualité actuels...

Liliane se rappelle surtout d'une organisation toute militaire, sans faille, bien en avance sur les méthodes de travail françaises. Son secrétariat avait la responsabilité de la rédaction d'un journal interne, le "Daily bulletin". Le sens du détail de cette organisation, associé à une mise en œuvre de moyens énormes, démontrait la modernité et la supériorité de cette armée américaine.
Pour l'anecdote, Liliane se rappelle de l'existence d'une boîte à suggestions sur le camp. Elle confie aussi qu'un jour l'officier commandant le camp avait proposé à la commune de St Benoit de construire un réseau d'assainissement collectif au bourg du village ... mais que cette offre gracieuse fut déclinée par le conseil municipal de l'époque, on ne sait pour quelle raison.
Liliane raconte encore qu'elle empruntait, pour se rendre à son travail, l'un des nombreux bus de ramassage, partant de Tours et Richelieu, spécialement mis à disposition des employés français du camp.

Elle décrit ensuite une base militaire au fonctionnement autonome, avec sa propre banque, son école, son hôpital, son cinéma, son bowling et son supermarché (autres nouveautés importées des USA) ainsi que sa propre police. La MP (Military Police) était redoutée des soldats américains ainsi que des civils français. Elle pouvait effectuer des patrouilles en ville à Chinon, tout particulièrement les jours de paye de la solde "pay day". A ces occasions les bars de la ville étaient toujours remplis de militaires ayant quelque fois besoin d'être remis dans le droit chemin... manu militari !
Liliane se souvient aussi des fêtes et cérémonies organisées, toujours dans la plus pure tradition américaine, par les soldats auxquelles les personnels civils du camp étaient conviés et de l'opulence des repas proposés. Elle évoque le mess avec son self service (encore une nouveauté troublante pour les français) et le "coffee truck" qui parcourait le camp pour distribuer son café délavé.

Liliane avait 18 ans quand elle a été embauchée au et comme elle le dit "elle aurait bien aimé y faire toute sa carrière". Cinquante ans après, elle habite toujours dans la région et reste en contact avec d'anciennes collègues. L'une d'entre elle était opératrice téléphonique et travaillait en équipe 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Une autre était secrétaire et vit aujourd'hui en Israël. Elle reste aussi en relation avec d'anciens militaires américains qui sont devenus ses amis et lui rendent visite régulièrement.
Liliane Marolleau a toujours le regard tourné vers les USA, elle est membre d'une association (aujourd'hui en sommeil) d'anciens employés du camp américain et souhaite toujours faire vivre le souvenir de cette époque heureuse.